blogs.fr: Blog multimédia 100% facile et gratuit

Delphinéa dans le vent des CaraÎbes

Blog multimédia 100% facile et gratuit

 

BLOGS

A la voile : Gironde, Cap Vert, Guadeloupe, Cuba

A la voile : Gironde, Cap Vert, Guadeloupe, Cuba

Blog dans la catégorie :
Voyages

 




Signaler un contenu illicite

 

Delphinéa dans le vent des CaraÎbes

vers les Bermudes

un paille-en-queue Josy réparre mes conneries un paille-en-queue Taravana monte son spi Taravana sous spi

un paille-en-queue
un paille-en-queue 

Vers les Bermudes

 

 

En quoi consistent donc ces préparations ? Vérifier si on doit faire la vidange de l’huile moteur. René doit faire la sienne. Vérifier le niveau d’huile, d’eau, vérifier le rouet de pompe à eau, l’anode. Faire le tour du bateau pour voir si tout va bien, si rien n’est desserré. Faire les pleins de fuel et d’eau. Faire les approvisionnements nécessaires en produits frais. Arrimer l’annexe solidement sur le pont. Préparer le matériel de pêche, tout le monde a bien remarqué que nous sommes de grands pêcheurs. Je me mets dans la tête de préparer la trinquette, car il n’est pas impossible que nous ayons un peu de près à faire. Au bout de deux heures tout est correct, il ne reste plus qu’à affaler cette trinquette et la ferler. Le moment est venu de bloquer la drisse au pied de mât. Mais où est-elle donc passée ? C’est simple, j’ai fait une grosse sottise, j’ai oublié de faire un nœud au bout du cordage et en manipulant le tout est parti dans le mât !!! Je ne l’avais encore pas faite celle-là, ça manquait à mon palmarès de sottises. Une seule solution, monter au mât, passer une navette et conduire la drisse. Qui allons-nous monter ? René 88 kg, je 88 kg. Dur, dur pour monter ces tas là. La plus légère étant Josy, c’est elle que nous enverrons là-haut. Fabrication d’une navette avec un fil de pêche au bout duquel nous mettrons quelques écrous pour faire le poids nécessaire à la descente dans le mât. Fabrication d’un crochet fin pour attraper la navette à son endroit de sortie du mât. Puis on envoie Josy qui se débrouille super bien, la navette est récupérée, la drisse est passée, elle est opérationnelle, Josy aussi, dès que nous l’avons redescendue. Le soir Didith nous a préparé un plat de roi, des morceaux de poulet marinés dans le citron, une bouteille de Cahors amenée par Josy et René, et nous avons terminé par un petit digestif, nous ne nous souvenons pas ce que c’est, mais nous nous souvenons qu’il s’agit là d’une préparation faite par Joscelyne. C’est frais, c’est bon, ça passe vraiment bien. Un autre soir, c’est à bord de Taravana que nous dinons. Quiche lorraine, ça aussi c’est bon et ça fait du bien, surtout dans une grande ambiance de partage et d’amitié.

 

 

Edith a pris son billet de retour pour le trois mai, nous attendrons donc qu’elle soit partie pour larguer les amarres. Après une dernière soirée à bord de Taravana, et une bonne nuit récupératrice, Didith est à l’aéroport, Delphinéa et Taravana sont en mer. Je tourne un peu en rond, je n’ai plus l’habitude d’être seul et on est parti pour huit cents miles. Une petite croute à midi, que m’avait préparée Edith. Je sens alors sa présence près de moi. Un peu de chaleur dans ce froid glacial de trente cinq degrés.

 

 

Voilà quatre jours maintenant que nous sommes en mer, peu de vent, Delphinéa réussit à s’en contenter pour avancer à la voile, ce n’est pas le cas de Taravana qui doit utiliser son moteur. Il est vrai que Taravana fait vingt tonnes, alors que Delphinéa n’en fait que onze peut-être douze. Que s’est-il passé pendant ces quatre jours ? Déjà, la nuit, quand je dors, René ou Josy veille pour moi et me prévient s’il y a un danger. Après moins de quatre heures de navigation René prend un thon de quatre kilos. Il est bien évident qu’il m’a fait bisquer car je n’ai jamais pris que de la salade. Il n’en aura pas eu d’autres, mais il n’a pas non plus eu besoin de pêcher. Il y a eu deux nuits de cela, je vois une lumière au loin, c’est un « Costa ». Pas de pb me dis-je. Mais c’est qu’il me vient droit dessus, il ne bouge pas, jusqu’au moment où je distingue clairement, malgré toutes ses lumières parasites, son vert et son rouge. Alors c’est moi qui me déroute, nous nous croisons à moins de cinquante mètres, j’entends ses moteurs, je reçois sa vague d’étrave qui fait osciller Delphinéa. C’était vraiment du juste. Sans cette dernière manœuvre je pense que je ne serai plus là pour le raconter. Ceci m’a servi de leçon. Dans ce contexte précis, il n’y avait pas de danger car entre René et Josy, à bord de Taravana, et moi, il y a toujours quelqu’un en veille active. Mais quand je serai tout seul, tout seul ce sera bien différent, car pendant mon sommeil, et il faut que je dorme, ce phénomène peut se produire. Alors, ayant un radar à bord, je me familiarise avec son utilisation afin d’être opérationnel avec cet outil qui n’a  pratiquement jamais servi. Maintenant, après quelques expériences en vrai grandeur, je sais en utiliser l’essentiel. Par exemple le mettre en veille où il fait un tour d’horizon toutes les cinq minutes et m’avertit s’il voit quelque chose à moins de trois miles.

 

 

Lorsque nous sommes partis nous étions au près, au près serré même. J’ai mis la trinquette. Merci petite Josy d’être montée au mât, ceci m’a permis d’avancer à 45 degrés du vent parfois même moins, sans l’aide de Babar. Redoutable d’efficacité cette trinquette. Puis le vent a tourné, toujours favorable nous l’avons au largue puis au grand largue. René monte son spi, je me dis alors qu’il va me laisser sur place et que je serai obligé de me faire aider par Babar afin de ne pas me faire distancer. Que nenni. Delphinéa, tellement plus légère, navigue bord à bord (mais dans l’Atlantique Nord, pas en Polynésie) avec Taravana. Mais le vent faiblit et la nuit arrive, alors René affale son spi. Un coup de démarreur pour relancer son moteur, mais rideau, plus de démarreur. René, technicien de haut niveau et très délicat et minutieux, prend le marteau, un petit coup sur le démarreur et hop le voilà repartit (le moteur, pas René). Maintenant il faut avoir présent à l’esprit, qu’il y a un aléa au démarrage du moteur de Taravana. Hier nouvelle tentative avec le spi, ça marche, il prend le peu d’air qu’il y a, mais dans l’après-midi il est encore obligé de l’affaler. Moteur remis en marche, sans problème. René entend un bruit du type dong dong dong devant correspondre à chaque tour de l’arbre d’hélice. Nous mettons les deux bateaux en panne, René plonge et enlève un cordage nylon de deux mètres pris dans son hélice. Opération terminée, nous repartons.

 

 

Taravana a pratiquement toujours été obligé d’avoir son moteur en appui. La météo annoncée ne prévoit pas de vent soutenu. René craint manquer de fuel. Nous en parlons, nous faisons des calculs très savants, et à l’aide d’une règle de trois, nous arrivons chacun à connaître son de besoin. Il manquerait vingt à quarante litres pour Taravana, alors que Delphinéa serait en excédant d’une centaine de litres, la réserve en bidons. Alors nous négocions. C’est fou, me dira René, ce que le fuel augmente dans ces cas là. Mais non bien sûr, juste une plaisanterie, pour le plaisir du mot. La mer étant peu houleuse et le vent étant particulièrement faible, nous convenons de transborder de Delphinéa vers Taravana, trois bidons de vingt litres tout de suite. Taravana abordera sur le bâbord de Delphinéa. Nous préparons les bateaux pour la manœuvre. Tiens, Michel, cela ne te rappellerait rien par hasard ? Opération terminée, impeccable, manœuvre souple, tout baigne dans l’huile, non dans le fuel.

 

 

Qu’est-ce que je mange, quand je suis tout seul ? Le midi des carottes râpées et des concombres. Tiens, à midi ma râpeuse est tombée en rade, inutilisable. Je ne peux dorénavant plus en faire. Le soir, salade de riz, un stock que m’a préparé Didith avant son départ, et je termine sur un peu de crème au chocolat, je l’économise, c’est bon, doux et frais, chaque fois je pense à ma Didith, qui de ses petites mains agiles, a préparé cela pour son grand tané. Ainsi chaque soir, avant d’aller au dodo, une petite douceur de Didith, ça fait du bien.

 

 

Parfois sur la mer j’aperçois un voilier, un seul, toujours solitaire. Ah, pardon, je ne parle pas de bateau, mais de méduse. Oui le voilier est une méduse qui se présente sous la forme d’une bulle d’air enfermée dans un chapeau rond (vive les bretons) et transparent. Le corps de la bête est dans les beaux bleus, quelques tentacules courts à peine visibles, mais au dessus de la bulle, dépassant de la surface de l’eau une peau cartilagineuse en forme de voile qui ondule dans le vent et lui permet d’avancer. Quelle distance peut-elle parcourir en une année ? Je n’en au pas la moindre idée. Quelques pailles-en-queues sont venus tourner autour de Delphinéa en criant. Sur le pont je découvre un exocet. Il est si petit, que ce ne peut tout de même pas être cela qui les excite tant. Ils sont restés une grosse demi-heure, puis sont partis. Ce matin, René me signale un grain, c’est vrai qu’il fait une chaleur lourde. Nous l’observons au radar, non il n’est pas pour nous, il fait la même route que nous à quatre, puis cinq miles sur notre bâbord, et il se déplace bien plus vite. Après une demi-heure, nous ne le voyons même plus.

 

 

Tout tourne rond, surtout Babar d’ailleurs à cause du manque de vent. Avec René, tout est d’équerre et carré. Parfois une allégorie me fait penser à une parabole. Nous avons un hyper bol de n’avoir pas de tempête. Aucune ellipse de soleil ou de lune n’est annoncée. Est-ce bien normal tout cela quand on est dans le triangle des Bermudes ? Allo Papa Tango Charlie …..

 

 

Nous sommes à cent cinquante miles de l’arrivée. Après le passage du front froid sous la colère de Jupiter, après un bon moment de calme, voit-il pas que ne vent de Nord-est se lève. Nous avions reçu cette précision deux jours avant, mais avec un aléa possible de vent de Nord. Pour aller à l’Est-Nord-est cela aurait pu être acceptable, mais pas le Nord-est. On essaye de tirer des bords, car nous n’aurons pas assez de fuel, pour lutter contre ce vent de vingt nœuds. Nous ne comprenons pas très bien ce qui se passe. Dix miles sur un bord, puis dix miles sur l’autre et nous nous retrouvons pratiquement au point de départ. Sur le bord de Nord-ouest Taravana remonte mieux que Delphinéa. Au bout de plusieurs heures, nous changeons de bord, et Delphinéa arrive à trouver une route directe acceptable, Taravana doit piquer plus au Sud. Parfois je suis obligé de mettre Babar en appui. Deux jours comme cela. Hier en fin d’après midi, Taravana se trouve très au Sud et René décide de remonter vers ma route. Il est loin, je l’attends pendant deux heures. A la nuit je ne le vois plus, je n’ai pas vu sa manœuvre car j’en ai profité pour dormir un peu. Au réveil, plus de communication VHF, il n’y a pas de danger, je file. La nuit tombe, repas tout seul, quelques patates sautées, le nez dans l’assiette. Même que j’oublie de manger le reste de crème au chocolat de ma Dith. Dans la nuit je suis en approche des Bermudes et dois changer de route, face au vent. Donc affaler les voiles. Je n’aime pas faire ça tout seul la nuit, surtout par une mer formée, hachée, lourde, désagréable. Mais tout s’est bien passé. En fin de nuit le Nord-est tourne au Nord avec un peu d’Ouest dedans, je renvoie les voiles, je retrouve la pêche.

 

 

A trois heures, dans la nuit je commence à apercevoir les lumières des Bermudes. Les hauts fonds du Sud-ouest sont passés, je suis sous voiles tout est merveilleux. Mais plus aucune communication avec Taravana. Après sept jours de mer, c’est quand même con, mais c’est comme ça. Le jour se lève, j’aperçois la côte, ça sent l’usine à touristes. Beaucoup de constructions face à la mer. Il me reste huit miles à faire, je devrais avoir suffisamment de fuel pour arriver au bout, même contre ce vent qui vient de tourner Nord-est avec une vingtaine de nœuds.

 

 

Le chenal d’entrée est passé, ça y est je viens d’avoir René, il est loin derrière. Formalité de douane, d’immigration, routine. J’en profite pour préparer le terrain pour René. Tout le monde est compréhensif et aimable. En début d’après midi, René accoste à couple de Delphinéa au quai de la douane. Retrouvailles, sympa, chaud. Nous repartons pour mouiller dans la baie, car nous refusons la marina trop chère : 1,5 $ le pied (et nous en faisons quarante) par jour, sans eau, sans électricité et sans douche.

 

 

Maintenant commence la préparation pour la traversée en solitaire total vers les Açores : 1.800 miles ce qui fait entre 15 et 25 jours. Départ le plus tôt possible. Alors j’espère, pas de gros temps, pas de vents contraires, pas de calmes plat, pas d’orage et une arrivée par temps de bonne sœur.

 

 

 

 

Bermudes

Josy au travail ciel paille en queue taravana : hissage du spi taravana sous spi

Josy au travail
Josy au travail 

Les Bermudes

 

 

Que dire sur les Bermudes ? Je n’y suis resté que deux jours, je n’ai pratiquement pas visité.  Ce sera donc juste une impression. C’est très anglais. Le pavillon national est anglais avec un motif en plus.

 

 

Le premier contact a été par la VHF pour signaler mon arrivée et demander où accoster, où est la douane …. La personne qui répond est très polie, un garçon, calme, posé, voulant tout expliquer, même un peu trop, et, comme mon anglais est limité, je n’ai pas été au bon endroit. Enfin tout a été réglé avec courtoisie. A la douane questions habituelles, très grande politesse. J’obtiens l’autorisation d’attendre Taravana sur le quai de la douane, il sera là dans une heure ou deux. La raison évoquée est d’aider René, car son anglais est encore plus pauvre que le mien.  Les formalités sont remplies pour les deux bateaux, nous allons au mouillage, puis petit tour en « ville ». British parfaitement british. Propre. Evidemment ça roule à gauche.

 

 

Le soir, dîner à bord de Taravana, après sept cent miles, ça fait du bien. Le lendemain, quelques courses du frais en vue de la longue route que chacun aura à faire. Puis ballade dans les deux rues de Saint Georges. On se croirait revenu à une époque plus ancienne. Chaque maison doit avoir une couleur différente de celle de sa voisine. C’est une règle. Mais pour le coup d’œil, c’est bien agréable. Quelques boutique, plutôt orientée vers de l’artisanat de luxe. Par exemple des scènes de la vie en porcelaine, superbe, très beau travail, mais hors de prix bien sûr.

 

 

Solitaire

Pico la verticale, c'est la ficelle jaune la mer encore la mer toujours la mer, mais le soir

Pico
Pico 

Solitaire

 

 

La météo est prise, le fichier grib enregistré. Sept jours de météo. Je pars demain. Dernier soir avec mes amis, Champagne, tranches de porc au barbecue à bord de Taravana. Dans la nuit le vent se lève. Je n’ai plus de guindeau électrique, René et Josy montent à mon bord pour m’aider à lever l’ancre, heureusement, car seul, j’aurais eu du mal car beaucoup d’autres bateaux sont autour de nous. Nous allons faire le plein de fuel et d’eau, puis les papiers de douane. Josy m’a préparé un pain. Mon dieu qu’elle est adorable cette petite Josy là.

 

 

René et Josy regagnent leur bord. Delphinéa prend la direction du chenal de sortie. Je m’aperçois à ce moment que j’ai oublié de poster plein de cartes postales, écrites et timbrées, que j’ai oublié de vider ma poubelle !!! Que j’ai oublié de donner à René et Josy les quelques pièces de monnaie qui me restent des Bermudes. Où avais-je donc la tête ?

 

 

Maintenant je suis vraiment tout seul. Adieux, chauds, émouvants, touchants nous ne savons pas quand nous pourrons nous revoir, mais nous savons que nous nous reverrons, nous ne savons pas où non plus d’ailleurs, mais ce n’est certainement pas le plus important.

 

 

Le chenal de sortie est passé, Delphinéa est sous génois seul, un bon vent, une mer un peu dure, six nœuds, que demander de plus. Devant, le grand large. J’appelle René à la VHF. Il attendait cet appel. Au revoir. Ce fût fort. Taravana partirait dans deux jours vers le Nord pour Saint-Pierre et Miquelon. Il en aura pour 950 miles, dans des eaux de plus en plus froides, de plus en plus dures, où l’erreur est de moins en moins permise. C’est un bon bateau, ce sont de bons marins,  tout ira bien.

 

 

La mer est grosse, le vent soutenu sans excès, le soleil est de la partie. Je parle au soleil. Je lui dis qu’il n’est pas très chaud. Le vent le répète à la mer qui lève une grosse vague en haussant les épaules. Puis je discute avec la mer et lui dit qu’elle est un peu grosse, elle le raconte au vent qui le répète au soleil. Alors il se cache derrière un nuage pour masquer son sourire. Tous croient que je suis seul. Mais pas du tout. Je discute avec le soleil, avec la mer. Le vent ne peut se retenir de tout entendre et tout répéter.

 

 

A cinq miles sur mon bâbord arrière, une voile apparaît. Il va plus vite que Delphinéa, mais mettra quand même une petite journée pour me doubler franchement.

 

 

Le deuxième soir, à la nuit tombante, je vais remonter ma ligne. Je trouve la cane un peu arquée. Je mouline un peu, le fil par sur le bâbord de Delphinéa, il est rare de voir des algues capables d’entrainer le leurre d’un côté où de l’autre. Ce doit sans doute être un poisson. J’ai les deux voiles, ce n’est pas facile de ralentir, alors j’applique la méthode de René, je remonte au vent. Efficace, ma vitesse tombe à un ou deux nœuds, c’est parfait. Je m’intéresse alors au poisson. Je l’approche sans trop de difficulté, mais il s’entête à vouloir aller sur mon bâbord. Même qu’il aurait plutôt tendance à vouloir doubler le bateau. Dans un sens ce n’est pas mal, car plus facile à mouliner, mais il ne faut pas qu’il se décroche. Et il ne faudrait pas non plus qu’il arrive à passer dessous, le fil pourrait se prendre dans le safran ou l’hélice et alors là, tout serait foutu. A cinq mètres de ma jupe arrière je peux distinguer qu’il s’agit d’une dorade coryphène. Je l’amène très près du bord de la jupe arrière et j’attends la vague qui va bien et hop poussée par l’eau elle se retrouve entre mes genoux, une main sur la queue, l’autre dans les ouïes. Avec la main qui me reste je prends un couteau et lui coupe sa colonne vertébrale derrière la tête, c’est fini, elle est à moi. 90 centimètres la bestiole. Il commence à faire nuit, je la vide aussitôt puis dans le cockpit je la dépèce et j’en fais quatre filets. Je n’écouterai pas René qui dit qu’il est mieux de la laisser une journée au frigo avant de la consommer, ce soir poisson au menu. Bon. Cela me fera quatre repas de luxe.

 

 

Je passe mon temps à lire, à calculer la vitesse, à projeter la date d’arrivée, à calculer les réserves de fuel, à vérifier la consommation d’énergie sur les batteries. En trois jours de navigation, j’ai dû faire 17 heures de moteur, c’est beaucoup pour un départ. Je devrais avoir encore pour un ou deux jours de vent portant assuré. Il me reste 1450 miles à parcourir et j’ai une autonomie d’environ sept cent miles, par mer plate et sans vent contraire. Alors il me semble que ça devrait aller. Il me faut aussi prévoir une réserve, il est impensable d’arriver à sec.

 

 

Nous sommes déjà mercredi 19 mai. Six jours de mer. Hier journée super. Une quinzaine de nœuds de vent apparent par le travers, Delphinéa filait six à sept nœuds avec ses trois voiles (encore merci petite Josy pour être grimpée au mât). La mer était formée, mais pas désagréable, peu de gite car j’avais peu bordé mes voiles et j’ai commencé à élucubrer. Si je continue à cette vitesse là je serai arrivé à Horta dans huit jours. J’aurai alors peut-être bien le temps, en repartant aussitôt, d’arriver avant le dix juin à Mortagne. Ce serait juste quand même. Alors pourquoi ne pas filer sur Flores plutôt que sur Horta, je gagnerai une centaine de miles, donc presque un jour. Oui mais alors, si jamais je ne tiens pas cette vitesse, je ne pourrais pas y laisser le bateau comme à Horta. De toute façon pour l’instant les routes sont pratiquement similaires, alors laissons faire et allons au dodo.

 

 

Dans la nuit je suis réveillé par des bruits insolites. Les voiles faseillent.  Le vent est tombé, petit à petit la mer s’est aplatie. J’ai tout affalé, je n’aime pas faire ça la nuit, surtout tout seul, mais je n’ai pas le choix. Babar prend le relai d’Eole. Je ne dépasse pas quinze cents tours afin de consommer le moins possible, tout en avançant quand même entre quatre nœuds et quatre nœuds et demi. En épluchant ma météo, je devrais en avoir pour environ trente six heures, soit soixante douze litres de fuel.

 

 

Le matin, la mer est plate, pas une ride, le ciel se reflète sur l’eau parcourue par une houle longue, mais désordonnée. Cela n’est pas sans me rappeler la traversée aller pendant laquelle nous avons eu quinze jours sans vent. Ici ce n’est pas pareil, nous ne sommes pas dans la zone des alizés. Je suis en ce moment au cœur d’un anticyclone qui se fera bousculer par une dépression dans une grosse journée. Alors je bénéficierai d’abord d’un vent de Sud puis d’Ouest, car elle passerait juste à mon Nord. Elle devrait me générer quinze à trente nœuds de vent réel. Très bien pour moi.

 

 

Pendant ce temps là, peut-être bien que Taravana est parti aussi. René prévoyait un départ deux jours après moi. Il n’aura alors pas eu autant de vent favorable que moi, mais il aura bénéficié du courant du Golfstream. Il aura dû faire du près serré avec dix à vingt nœuds de vent puis un vent portant de trente nœuds. En tout cas souhaitons-lui bonne mer. Nous sommes convenus, quand je suis parti, de nous tenir mutuellement informés de notre arrivé à nos destinations.

 

 

Histoire de m’occuper, je cherche des enveloppes, au format adéquat, pour y mettre les cartes postales que j’avais oublié de poster aux Bermudes afin de les envoyer quand même aux Açores, plutôt que de les amener et les distribuer en main propre. Je trouve les enveloppes, bien Didith, efficace, puis je cherche les cartes pour recopier les adresses. Dans mon sac à dos, rien. Dans un sac carrefour de courses, rien. Dans le frigo entre les tournevis et le papier Q, rien. Je ne sais pas où elles sont passées. Qu’ai-je bien pu en faire ?

 

 

Nous sommes vendredi 21 mai.  Hier tôt le matin, le vent annoncé était bien là. Entre cinq et dix nœuds de Sud, il me permet quatre nœuds au près avec une route au soixante quinze, c’est parfait. Soudain j’entends la chanson des sirènes. Je me remémore Ulysse. Les sirènes chantent, installées sur un rocher, pour attirer le marin afin qu’il s’échoue. Ulysse connaissant ce stratagème, s’était bouché les oreilles. Je suis actuellement entre les Bermudes et les Açores, et, après vérification de ma culture sur mes cartes, il n’y a donc aucun rocher. Il y a bien un haut fond qui est assez proche, mais à 4910 mètres. Cela ne devrait théoriquement poser aucun problème. Donc j’écoute ce chant harmonieux, cette mélodie qui vient du fond des airs, qui se reflète sur l’eau bleue et qui s’envole vers le ciel pour se perdre quelque part dans les nuages blancs. Plus le temps passe plus les voix montent vers les sopranos. Parfois elles redescendent. Comme c’est doux à entendre. Le clapot de l’eau sur la coque bat la mesure. Plus on est dans les aigus plus la mesure est rapide. Plus rapide, plus rapide ? Mais à quelle vitesse suis-je donc ? Cinq nœuds et demi, six nœuds … Un coup d’œil dehors, le vent est franchement là, quinze à vingt nœuds, je prends un ris car il monte. Opération terminée, je peux retourner écouter mes sirènes. Un dernier tour d’horizon, et c’est là que j’entends le vent dans les haubans. En fonction de la gite du bateau, d’une rafale plus ou moins forte, les sifflements sont plus ou moins aigus ou graves. Adieu la légende des sirènes d’Ulysse. Un mystère de plus vient d’être découvert. Mais j’ai fermé les yeux et là j’ai bien vu une sirène aux longs cheveux blonds chanter sur un rocher. J’ai rouvert les yeux, je n’ai plus rien vu. J’ai refermé les yeux, et alors j’ai vu au loin une blonde, montant à cru sur une jument, galopant sur les vagues pour essayer de rassembler les moutons afin qu’ils ne gênent pas ma route. J’ai trouvé ce spectacle si merveilleux que j’ai pris mon appareil photo. La cavalière était un peu loin, alors j’ai mis un coup de zoom. Quelle ne fût pas ma surprise, quand j’ai pu identifier Didith montée sur Boubatte, devant elle deux petites chiennes coursant les moutons !! Je n’ai plus voulu rouvrir les yeux, je me suis endormi, béat. Quand je me suis réveillé, c’était déjà la nuit. Je n’ai plus vu de cheval ni de cavalière, ni de chiennes, juste quelques moutons qu’elle n’avait pas dû pouvoir rassembler. J’ai été faire un point sur ma route, Delphinéa était partie toute seule à vingt degré au Nord de sa route !!!

 

 

Toute la journée d’hier et la nuit j’ai eu ce vent. Super. J’ai juste un peu de mal à tenir mon cap. Je dois diminuer le génois, car je commence à marcher sur les cloisons. Il devrait se maintenir pendant une journée encore, mais demain tourner au Sud-ouest assez fort. Ceci devrait me permettre de rattraper un peu de cap. Je commence à voir apparaître une dépression à l’Est de la Floride. Je suis à 1500 miles dans son Nord-est. Pas bon ça. Entre elle et moi un anticyclone. Sera-t’il assez fort pour l’obliger à passer plus au Nord ? Je l’espère, car je suppose quelle va se creuser pas mal et provoquer des vents costauds. Si elle monte suffisamment au Nord j’aurais des vents d’Ouest, et là ça me va bien. Mais si elle ne monte pas assez, ce sera de l’Est. Donc à suivre de près, très près même.

 

 

Il est une heure de l’après-midi, j’ai vu passer la borne, plantée là au milieu de l’océan, figurant la moitié du parcours. Alors un petit point s’impose. Huit jours de mer, neuf cents miles parcourus, 4,7 nœuds de moyenne globale, le réservoir principal de fuel est au trois quart plein, 48 heures de moteur, la première cuve à eau est encore à moitié pleine, les batteries sont chargées à bloc, je n’ai plus de carottes, plus de rappeuse à carottes non plus d’ailleurs, plus de concombres, il reste deux pommes et une orange, quelques patates, je n’ai encore utilisé aucune conserve, il reste deux plaquettes de beurre, je file six à sept nœuds. Depuis que nous sommes arrivés au Portugal, je lutte contre la chaleur. Maintenant je lutte contre le froid. J’ai froid !! Pourtant il fait plein soleil et sans doute bien 23°. Mais j’ai froid.

 

 

Petit à petit la vitesse à augmenté. Avant de partir, j’avais fait un plan de route en mettant un waypoint (point de passage) tous les 120 miles sur la route orthodromique (la plus courte en tenant compte de la courbure de la terre) ce qui représente 24 heures à cinq nœuds. Ma moyenne étant aux alentours de 4,5 nœuds, j’étais en retard de 73 miles le vingt mai. Le 21 mai 141 miles dans les 24 heures, le lendemain 176 miles, un record soit une vitesse moyenne de plus de sept nœuds. Le vent étant de quinze à vingt nœuds au largue (par le travers, une des allures rapide), cela voulait dire qu’il y avait un courant assez fort. Sans doute le Golfstream. Dans la nuit du samedi soir, merde, j’ai oublié qu’on était samedi (eh oui traditionnellement le samedi soir avec Dith, on se prend un apéro, même que parfois, c’est samedi au milieu de la semaine), donc dans la nuit je suis réveillé par un grand bruit. Le vent a tourné, il est passé au Nord-ouest, nous avons empanné, la bôme est passée brutalement d’un côté à l’autre, merci monsieur Walder (frein de bôme) qui a bien rempli son office. Petit à petit, il tourne au Nord puis avec un peu d’Est dedans. Pour aller à l’Est-nord-est, ce n’est pas terrible, puis il a forcit, vingt à vingt cinq nœuds. Ce n’est certes pas la tempête, mais vingt cinq nœuds au près serré, pas drôle du tout. De plus la mer s’est mise en désordre complet. Le Golfstream d’un côté, le vent actuel de l’autre, la houle résiduelle provoquée par les vents de Sud et d’Ouest des jours antérieurs, ont fabriqué un véritable shaker. Je crois n’avoir jamais été aussi brassé, dans tout les sens. Je ne mets plus le nez dehors, toutes les cinq minutes le bateau est submergé par une grosse vague qui le recouvre entièrement. C’est pire que la Méditerranée. Je reçois mal les météos, je ne sais pas trop combien de temps cela va durer.

 

 

Ce matin, lundi 24, j’ai reçu toutes mes météos. Le vent faiblit, mais tourne carrément Nord-est. Il durera jusqu’au 25 à 11h52 GMT, puis passera Sud-ouest. Alors je ne lutte plus trop contre lui, et je prends une route Sud-est en filant plus de cinq nœuds. Je rattraperai le cap en faisant une route plus Nord demain quand le vent aura tourné. Par contre la dépression qui s’était formée à l’Est de la Floride m’arrivera dessus dans la nuit d’après-demain soir. L’anticyclone qui me protégeait tient le coup et l’oblige à passer à son Nord.  Je serai entre les deux, avec un vent d’ouest, voire Sud-ouest, assez fort, vers les 35 nœuds, j’espère que ç ne dépassera pas trop les 40 nœuds (force huit). Ce sera dans le bon sens, je ne serai plus très loin du but. Il me reste moins de cinq cent miles à parcourir, demain soir ce sera moins de quatre cents.

 

 

En tout cas la vie à bord continue, je n’ai pas le choix, même que je pense au médoc. Je n’ai pratiquement jamais oublié d’en prendre. D’ailleurs maintenant la bouteille est vide, je me vengerai sur le côte de Beaune (pour ceux qui ne le savent pas, je dois prendre des médocs tous les jours. Parfois je me trompe avec le Bordeaux. On m’explique jamais bien à moi).

 

 

Hier, dans la journée, en envoyant mon regard iranien (ben oui quoi, perçant), faire un tour d’horizon, j’ai vu une troupe de dauphins, ils étaient nombreux, c’étaient les premiers que je voyais depuis le départ des Bermudes. Mais j’avais très froid et j’embarquais de l’eau par l’avant, je suis donc rentré bien au chaud. J’ai l’impression, le matin, que mon haleine va se condenser en buée tellement j’ai froid. Je me demande si je ne vais pas mettre en route le chauffage !!

 

 

Je viens de me réveiller d’une longue sieste bien méritée. Je jette un coup d’œil dehors, et surprise, j’aperçois une petite voile à un mile sur mon tribord. A tout hasard je mets la VHF et j’entends au bout de quelques minutes ce bateau qui m’appelle. Galopin est parti d’une petite île du côté de Saint-Martin et fait route sur Horta. Il semble bien sympa. Nous nous sommes donnés rendez-vous radio à 19 heures. Mais je ne sais pas s’il s’agit d’heure TU ou bien locale. Il n’a aucune info météo, alors je lui ai donné ce que j’avais.

 

 

La nuit se passe sans problème, plutôt bien même, car deux fois je me suis levé et à chaque fois je filais six à sept nœuds. Au levé du soleil plus beaucoup de vent, et on passe du près serré au vent arrière. Alors j’affale la grand voile et la trinquette pour naviguer sous génois seul. Dans la matinée, contact radio avec Galopin, il est juste derrière moi, sous grand voile et moteur, il me rattrape. Nous convenons de nous rapprocher et de nous voir physiquement. Chose faite, nous discutons de vive voix et je propose de lui filer deux bidons de fuel car il risque d’être un petit peu juste. Nous préparons les bateaux, Delphinéa est sous génois seul et je n’ai pas d’équipage, alors, c’est lui qui manœuvrera. Les bidons sont prêts à être transférés, ma vitesse est la plus réduite possible. Au dernier moment je m’aperçois avoir oublié de m’harnacher. Je fonce donc mettre mon harnais. Quand je remonte sur le pont, je m’aperçois qu’un bidon est tombé à l’eau et je vois mon ami faire demi-tour pour aller le récupérer. Chose faite, belle manœuvre, il me remonte, me lance un boute, j’y attache l’autre bidon et le lance par-dessus bord, il le récupère, tout va bien. Au cours de cet exercice périlleux,  la houle aidant, nos portiques se touchent, son panneau solaire en a pris un coup. Il est vrillé, après quelques essais, il semblerait que la casse se limite juste à un aspect un peu tordu. Tant mieux.

 

 

Contacts radio fréquents, pour parler essentiellement de météo. Pour parler de tout et de rien. A bord de Galopin, une famille entière, des Suisses, qui navigue pour son plaisir. Marie et Dominique avec leur deux filles Léa et Fanny (onze et neuf ans). La petite Fanny est bien curieuse de savoir des choses sur ce mec qui navigue tout seul sur son bateau. Comment tu t’appelles ? Quel âge as-tu ? Tu as des enfants ? Tu habites où ? Et ton nom de famille c’est quoi ? Là je réponds que nous verrons cela à l’arrivée, parce que ça se complique.

 

 

Au cours d’une nuit un grain. J’étais sous génois et grand voile trois ris, bateau couché. Je reçois tous les bouquins sur la tronche, et je me lève pour aller voir dehors. Je décide d’affaler la grand voile. Là mauvaise manœuvre, je ne remonte pas suffisamment au près et une latte se coince dans un hauban, je tente de remonter la grand voile, je suis obligé de forcer au winch, je ne peux pas le faire à la main. Aucun résultat. Alors tant pis, avec l’aide de Babar, je me mets face au vent, la latte se décoince du hauban, mais je ne peux ni monter la voile, ni l’affaler. La drisse est coincée en haut du mât. Je suis contraint de continuer avec le génois, et un morceau de grand voile à moitié affalée, sans tenue, immanœuvrable. L’arrivée au port sera sportive. Celle-là, je ne l’avais pas encore faite. En tout cas c’est la plus grave. La prochaine, ce sera quoi ? Un boute dans l’hélice ? Il est peut-être temps que j’arrête, non ?

 

 

Je préviens Dominique, nous sommes à 250 miles de Horta, et nous convenons qu’il arrivera le premier, pour prévenir les autorités locales et organiser une assistance pour mon arrivée. Dans la journée, il est bien évident que j’ai essayé de régler ce pb. Par exemple, j’ai essayé de grimper au mât avec le grimpeur de spéléo. Je l’ai déjà fait, oui, mais au port. Là on est dans une mer formée, 20 à 25 nœuds de vent, ce n’est pas pareil. En faisant un essai, pour voir si ça marche, dès que mes pieds n’ont plus touché le pont, j’ai failli me fracasser contre le mât. Cette idée n’est pas la bonne. Pourtant les dauphins sont venus m’encourager.

 

 

Hier soir, la petite Fanny, intriguée par le fait que je n’ai pas donné mon nom de famille, m’a demandé quelques indices. Alors je lui ai dit que mon nom vient d’Ukraine, que c’est le Dupont (peut-être même Dupond) local, et que sa traduction en français serait « petit tarin vert », sachant que le tarin est un oiseau vivant dans la toundra. Alors, à bord de Galopin, la soirée sera passée à élucubrer.

 

 

Nous sommes le jeudi 27 mai, il reste 130 miles à parcourir, je pense y être demain matin. La météo annonce un vent soutenu pour demain, ce sera dur. Mais que veux-tu, on n’a pas le choix.

 

 

Je ne sais plus où est le ciel, je ne sais plus où est la mer. Tout est gris. Un gris uniforme en haut, ce sont des altostratus opacus, coucou Christiane et Marie-Denise. En bas, c’est du gris noir parsemé de blanc. La mer, belle houle avec ses moutons désordonnés. La pluie s’est arrêtée depuis environ une heure. Cette navigation serait si agréable avec juste quelques cumulus, un beau soleil …. et une grand voile en état.

 

 

Le matin du 28, au soleil naissant, par un plafond bas et gris plutôt foncé, une côte. Les Açores, montagneux, volcanique, vert, très vert. Sur le bâbord, Faial, droit devant, Pico. Le plafond est bas, sombre, il commence à bruiner, le vent est présent sans être soutenu. Sur l’île de Pico, un volcan, le Pico Alto qui, par ses 2.351 mètres transperce les nuages. Le génois est affalé, la grand voile évidemment pas, Babar est en marche, les autorités portuaires sont averties de mon avarie par Dominique qui est arrivé avant moi. Plus je m’approche, plus le plafond est bas, les nuages sont le long de la colline dominant Horta. A l’entrée du port le vent est plus fort. Sans doute s’agit-il là d’un ventury.

 

 

Un gros Zodiac se dirige vers moi et s’accouple, pas avec moi andouille, sur Delphinéa. Deux garçons montent à mon bord pour m’aider. Ils me font mouiller par quatre mètres de fond à un endroit très abrité. Ils me hissent jusqu’au haut de ma  grand voile, je coupe la drisse, la voile chute dans son lazy bag. Delphinéa est à nouveau manœuvrante.

 

 

Je vais faire les formalités d’arrivée, il y a la queue, beaucoup sont arrivés dans la nuit, il faut attendre. Des Français, des Anglais ou anglophones. Certains discutent entre eux, mais je ne comprends pas grand-chose. Drôle d’accent. Enfin c’est mon tour. Ah c’est vous qui aviez un pb ? Ben oui, c’est moi. Combien de personnes à bord ? Une seule, mes respects monsieur.  C’est terminé, une place m’est attribuée, je suis à couple d’un bateau Anglais, Dove. Plus tard un autre bateau viendra se mettre encore à couple de moi, des Français, des vieux, rien que des garçons. Dominique est monté à bord avec moi pour m’aider, car lever l’ancre sans guindeau, en bout de port avec un vent qui a franchement tendance à me pousser vers l’extérieur en ramassant au passage tous les autres bateaux mouillés, le risque de faire cela seul est trop important, en tout cas trop angoissant. Nous arrivons à la place qui m’a été attribuée. Je craignais cette manœuvre, passage étroit et sinueux entre des bateaux à quai d’un côté et des bateau sur cateway de l’autre, j’ai environ quinze mères pour passer, parfois moins, et un vent soutenu me pousse. Je suis obligé de mettre Babar en arrière pour ne pas avancer trop vite. Mais alors je suis moins manœuvrant. Enfin, je n’ai ni coulé ni accroché d’autres bateaux.

 

 

Amarrage terminé. Maintenant on attaque le décoinçage de la drisse. Il a fallu cinq minutes à Dominique pour régler ce pb. Il a oublié d’être con celui-là aussi. Dorénavant, cet incident n’appartient plus qu’au passé, aux anales de Delphinéa, une rubrique de plus dans la longue liste des mes c.., oh pardon, de mes sottises.

 

 

Ce fût une belle navigation, 1800 miles en 355 heures, dont 48 de moteur, soit cinq nœuds de moyenne. Sur la fin, j’étais même obligé de réduire mon génois pour ne pas arriver trop tôt. Il me fallait arriver impérativement après huit heures, de telle sorte que le travail ait eu le temps de reprendre au port et de bénéficier d’une assistance.

 

 

les Açores

les traditionnelles marques de passage les voiliers échoués le port de Horta église à Horta ici on trouve même des bateaux à terre

les traditionnelles marques de passage
les traditionnelles marques de passage 

Les Açores

 

 

C’est vert, c’est volcanique, ça souffle, le ciel est chargé. Les Açores ne sont pas sans rappeler les Féroé.  Une différence de température ? Peut-être quand même. Cependant mes références ne sont plus les mêmes. Lorsqu’on vient de la mer des Caraïbes, un temps venteux à 20° est glacial. La situation est semblable. Dans les deux cas, un groupe d’îles isolées au milieu de la mer. Il est vrai que les latitudes ne sont pas tout à fait les mêmes. Mais dans les deux cas, l’air humide arrive du large et se déverse sur la première terre qu’il rencontre. Ah oui, un bon point commun, il pleut beaucoup. Je suis arrivé ici, sous la pluie et il semblerait que ce soit tout à fait normal. Il suffit de voir les indigènes. Pour eux c’est normal, ils se promènent sous la pluie, comme si de rien n’était.

 

 

Deux jours de pluie ininterrompue, dur, dur quand on vient du soleil, de la chaleur, d’un excès même de sècheresse. A l’intérieur du bateau tout est humide, voire mouillé. Je suis mal orienté par rapport au vent, et je ne peux ouvrir aucune écoutille, sinon c’est la pluie qui entre directement. Pas étonnant que tout soit vert ici.

 

 

Enfin le ciel se dégage. Ce qui ne veut pas dire qu’il fait grand soleil. Il ne pleut plus et le soleil aurait plutôt tendance à vouloir traverser les nuages. Un petit tour dehors est loin d’être superflu. Horta c’est la capitale des Açores. On peut s’attendre à une grande ville, en tout cas à une ville. Ce n’est en fait qu’un village. Un petit bourg on va dire. Comme dans tous les villages on y trouve la mairie, la poste, quelques bistros, son église, que dis-je au moins trois ou quatre, nous sommes au Portugal quand même. L’architecture est typique du Portugal et me rappelle vraiment Madère. En tout cas tout est propre, rien ne traîne par terre. Je pense qu’ici leur culture est vraiment l’écologie. D’ailleurs quand on arrive on reçoit quelques prospectus, parmi lesquels un topo sur l’écologie, ce qu’on peut faire, ce qu’on ne peut pas faire, combien de temps met ceci ou cela pour disparaître.

 

 

Après un aller retour rapide en France, pour marier les Stef et faire la connaissance du petit Tom, le dernier né de la famille, me voilà de retour à bord avec Michel qui me fait le grand plaisir de m’accompagner pour la dernière étape. En effet, si la traversée Bahamas-Bermudes-Açores est facile en solitaire, Açores-Mortagne, c’est une autre paire de manche. D’abord on doit croiser tout le trafic des cargos faisant les liaisons de l’Europe du Nord avec l’Afrique et la Méditerranée et qui se concentre au cap Finistère au Nord de l’Espagne, puis l’arrivée pour remonter la Gironde. Si en pleine mer on peut ne se permettre qu’une veille légère, dans ces coins là, c’est absolument impensable. Croiser le trafic du cap Finistère prendra environ une journée et remonter la Gironde, avec ses cargos et ses bancs de sable, environ six heures.  A ces moments là il est indispensable d’avoir une veille attentive. Il est donc bien préférable d’être au moins deux, car l’un au moins peut se laisser aller dans son coup de pompe inévitable. Merci Michel.

 

 

Fin du voyage

les voiles bien gonflées une baleine la douane le jus de la mer dans la Gironde une chapelle sur la rive Nord de la Gironde (après Royan)

les voiles bien gonflées
les voiles bien gonflées 

Fin du voyage

 

 

Donc nous voilà à bord. Quelques courses, prise de météo qui n’est pas trop mal, nous décidons de partir dès le lendemain matin. Le soir nous dinons chez Peter,  Café des sports, troquet mythique de Horta, où, d’après les bouquins on peut rencontrer quelque célébrité de la mer. Le soir préparation du bateau, plein d’eau, vérification du gréement, faire la route. Le lendemain jeudi 17 juin à 10h52 nous quittons le poste de fuel où nous avons fait le plein. Et à Dieu vat pour une nouvelle traversée, la dernière étape, 1300 miles, ce n’est pas la plus simple.

 

 

Quelque ventury entre les îles nous porte bien, mais rapidement c’est un beau calme. Nous espérons dans trois jours toucher le Sud d’une dépression venant du Sud de Terre Neuve et qui devrait couper en deux le fameux anticyclone des Açores, dans lequel nous sommes. Elle nous donnerait quinze à trente nœuds de vent de Sud puis d’Ouest.

 

 

La vie s’organise à bord, nous reprenons nos marques, premier repas de midi, pommes de terre sautées, salade. Le soir pâtes sauce napolitaine. Evidemment la ligne est à l’eau, mais rien, comme d’habitude. Ce matin, Terceira, la dernière île des Açores commence à s’estomper à l’horizon, dans notre arrière. Michel, inquiet, attire mon attention sur quelque chose qui émerge. Un rocher ? Mais il n’est pas sur nos cartes ! Nous n’avons pas fumé, donc notre vue est claire. Mais qu’est-ce donc que cela ? Nous approchons, c’est une tortue, recouverte d’algues et de coquillages. C’est la première fois que j’en vois une dans cet état. Est-elle malade ? Nous nous croisons, elle sans un regard, nous les yeux fixés sur sa carapace.

 

 

Nous en sommes à notre troisième jour de mer. Nous cherchons le vent, Babar toujours, aussi aimablement, nous apporte son aide. Nous sommes sous voiles et moteur. Combien de temps pourrons-nous l’alimenter ? Il nous reste encore 250 litres de fuel, soit 125 heures, soit 500 à 600 miles. Cependant il reste encore un peu plus de 1.000 miles avant la Gironde. Il faudra bien que ça se mette à souffler. En tout cas la navigation est confortable car pas de mer, une houle d’à peine un mètre et longue. Les nuits sont calmes, on peut dormir sans être balloté d’un côté à l’autre. Michel a quitté son quart ce matin vers quatre heures. Vers huit heures je fais un petit réglage des voiles et j’entends un bruit curieux dans mon dos. Je sais que Michel est couché, et le bruit du moteur couvre ses ronflements, donc c’est autre chose. En me retournant, j’ai la grande et agréable surprise de voir une baleine à une cinquantaine de mètres sur le bâbord. Je vais vite réveiller mon bon Michel, qui grogne un peu, mais quand je prononce le mot baleine sa mauvaise humeur naissante est vite partie. Nous en dénombrons trois, mais sûr qu’elles sont plus nombreuses. Le dos rond, un aileron petit, une longueur d’au moins dix mètres, un souffle de deux mètres seulement et peu fourni. Nous n’avons jamais pu voir leur nez, ni leur queue. J’ai ralenti l’allure afin de me caler sur leur vitesse. Pendant environ une heure nous naviguons côte à côte, nous avons la même route. Une joie intense s’empare de nous. Un banc, une troupe, un troupeau, je ne sais pas comment on dit. D’un seul coup notre fatigue s’est évanouie. A quelle profondeur sont-elles ? Nous ne le savons pas. Périodiquement nous les voyons émerger juste ce qu’il faut pour avaler un bol d’air. Pratiquement pas un remous, aucun saut, juste de la grâce, j’ai failli dire de l’onctuosité. Un spectacle de ballet ponctué par la musique de leur souffle.

 

 

Pendant que nous nous régalons du spectacle qui nous est offert, nous remarquons, flottant sur l’eau, comme de grosses larves blanchâtres ou jaunâtres et pratiquement rondes. Les gros éléments, environ dix centimètres de diamètre, sont ceints d’une couronne de filaments marrons de deux à trois centimètres de long. Qu’est-ce que c’est ? Pour nous, mystère. C’est la première fois que nous voyons cela. Animal ou végétal ?? Aucune idée sur la question. Nous n’avons pas d’épuisette pour en ramener un à bord et l’étudier. Finalement, Michel arrive à en choper un à l’aide d’un seau.  Il me dit que ce sont des anatifes.

 

 

Nous laissons les baleines poursuivre leur route, nous poursuivons la nôtre. Rapidement, elles sont hors de notre vue. Le spectacle n’est toutefois pas terminé. Toujours sur notre bâbord deux tortues nous croisent sans s’émouvoir de notre présence. Il ne se passe pas cinq minutes et voilà nos amis les dauphins qui viennent nous saluer. D’abord un couple. Il s’agit du grand dauphin, dos gris, ventre clair, deux à trois mètres de long. Ils sont partis assez vite, mais remplacés par deux autres couples. Ils jouent devant notre étrave, parfois l’un d’entre eux se tourne pour nous observer et nous faire un clin d’œil. L’eau est limpide et parfaitement transparente, sans ride, nous les voyons clairement évoluer même jusqu’à une profondeur de deux à trois mètres. Soudain tous les quatre en même temps plongent un peu plus profond et s’éloignent dans la même direction, comme obéissant à un signal reçu. Au revoir les dauphins, au revoir les baleines. Nous avons encore mille miles à parcourir, et vous ? Vous c’est sans fin, sans faim aussi, car la mer est riche et nourricière, enfin pour l’instant. Vous, vous êtes dans votre élément, les intrus, c’est nous. En tout cas merci de votre visite, ce fût un vrai plaisir de vous rencontrer.

 

 

Pendant cette traversée, plusieurs fois nous avons croisé la route des dauphins, la même espèce, parfois très nombreux, mais toujours aussi joueurs, toujours aussi rigolards. Une fois encore, un peu avant d’entrer dans le golf de Gascogne, des baleines, vraiment très proches de Delphinéa, un soir juste avant la tombée de la nuit. Les plus proches étaient à moins de cinquante mètres sur l’arrière du bateau. Instinctivement nous avons observé la mer vers l’avant, car il est loin d’être souhaitable d’en heurter une. Ce ne serait neutre ni pour la baleine, ni pour Delphinéa. Cette fois-ci elles sont très nombreuses. Combien ? Difficile à dire. Mais nous voyons des souffles sur un espace de plus d’un mile. Nous n’avons toujours pu voir le nez le nez d’aucune d’entre elles. Donc difficile de les identifier.

 

 

Nous avons un petit vent, dix à quinze nœuds (force deux à trois), nous sommes au près, parfois serré, et nous filons cinq à sept nœuds sur une mer pratiquement plate. Je pense que la trinquette y est pour beaucoup. A deux cents miles du cap Finistère, un phénomène difficile à comprendre. Quinze nœuds de vent de Nord, avec peut-être un peu d’Est dedans, une mer sans grosse houle, et le bateau secoué dans tous les sens, qui tape trop souvent dans une vague. Cela fait plusieurs jours que ce type de vent sévit par ici et pourtant les vagues sont dans un désordre inimaginable. Nous sommes largement à l’Ouest de la remontée du fond dû au plateau continental. Alors pourquoi avons-nous une mer aussi perturbée ? En tout cas c’est vraiment une horreur, le bateau et son noble équipage souffrent.

 

 

Nous avons de la chance, nous coupons la route des cargos à une cinquantaine de miles au Nord de la fin de leur rail et le jour est naissant. C’est le rail du cap Finistère par où passe tout le trafic Nord-Sud. Nous en avons vu une dizaine, jamais une route de collision, une fois nous sommes passés entre deux d’entre eux, ils descendaient vers le Sud, le plus proche était à deux miles de nous. Absolument aucun danger.

 

 

La fin du rail correspond à l’entrée du golf de Gascogne. Là nous retrouvons tous les bienfaits de la civilisation. Sacs et bouteilles plastique flottent gracieusement à la surface de la mer. Que c’est bon de sentir la présence de l’homme.

 

 

Nous sommes maintenant à deux cents miles de l’entrée de la Gironde. Nous devons attaquer la remontée de la Gironde vers Mortagne à l’étal de basse mer et de jour, afin de bénéficier du flux de la marée montante pour la remonter. De plus nous devons arriver à Mortagne à la haute mer afin d’avoir suffisamment d’eau pour remonter notre petit chenal d’arrivée. Depuis hier nous faisons des calculs savants en tenant compte de la force et la direction du vent pour pouvoir arriver le mardi 29 juin à 11h39 !!! Il était prévu hier que nous devions faire une moyenne de quatre nœuds avec un vent d’abord de Nord puis Nord-nord-est de dix nœuds, puis pas de vent donc moteur. Dans la nuit et ce matin dimanche nous avons un Nord-nord-est de vingt nœuds. Nous avons des difficultés à tenir le bon cap, toujours limite, nous serrons le vent au plus près. Nous sommes plutôt un peu trop vite, mais nous compenserons quand nous serons obligés de faire du moteur. Alors nous irons au ralenti.

 

 

Nous approchons de la Gironde, nous avons aperçu une unité de la douane française qui faisait des ronds dans l’eau. A un moment contact radio :

 

-         d’où venez-vous ?

 

-         des Açores.

 

-         et avant ?

 

-         des Bermudes.

 

-         et avant ?

 

-         toutes les escales y sont passées.

 

-         quelle est votre destination ?

 

-         Mortagne.

 

-         très bien nous venons à votre bord pour contrôle.

 

-         aucun problème, nous vous attendons.

 

Un canot pneumatique est mis à l’eau et rapidement quatre douaniers sont à bord.

 

-         avez-vous quelque chose à déclarer ?

 

-         non

 

-         alcool ?

 

-         ben oui un peu.

 

Fouille en règle. Ils trouvent les cubi de rhum de Guadeloupe et les bouteilles de rhum de Cuba. Rien n’était caché.

 

-         savez-vous à combien vous avez droit ?

 

-         non.

 

-         une bouteille par personne !

 

-         mais je suis parti depuis neuf mois et nous étions quatre à l’origine et chacun y a été de son souvenir.

 

-         maintenant vous êtes deux et le temps n’est pas pris en compte.

 

Résultat de l’opération je dois payer les taxes, mais je passe au travers de l’amende car je suis jugé de bonne foi.

 

 

Cette opération a  bien pris deux ou trois heures, mais tout s’est passé pendant que nous avancions vers l’entrée de la Gironde. Nous y étions à 11h30 avec donc neuf minutes d’avance. Remontée sans problème. Juste qu’il est difficile de percevoir les balises rouges et vertes très éloignées les unes des autres. Nous apercevons, le long des quelques falaises, les carrelets pour la pêche. C’est curieux, mais je ne me souvenais pas de cela. Le jus est maintenant présent et nous filons huit nœuds. L’entrée du chenal vers Mortagne se présente sur notre bâbord, nous devions y être à 17h51 pour avoir suffisamment d’eau, il est 17h48.

 

 

Nous accostons à la place que nous a indiquée Claude, le patron du port à sec. Le coefficient de marée est trop faible pour nous permettre d’être mis à sec de suite, le bateau restera donc à cette place en attendant des coefficients plus élevés, c'est-à-dire au moins deux semaines.

 

 

Nous sommes amarrés, le voyage est terminé. Nous avons plein d’images gravées dans nos yeux, plein de souvenirs enregistrés dans nos mémoires. Maintenant nous allons reprendre notre vie sociale et tenter de faire partager nos impressions à tous nos amis.

 

 

Minibluff the card game

Hotels